Une compilation troublante
Une projection attire mon attention. Pour voir l'écran, il faut s'allonger sur une banquette rouge. Soit, allons-y. Le film de 6 minutes, "L'amour au cinéma", est une compilation de courts extraits de films mettant en scène des couples : premiers regards, amours adolescentes, baisers, caresses, désir sexuel, crises, chagrins d'amour, disputes, violences conjugales, mariage, tendresse au quotidien, deuil du conjoint, divorce, retrouvailles après séparation... les images se succèdent, souvent belles, et interpellantes.
Mon avis : j'ai trouvé ce film touchant. Mais je me demande : que faire de toutes ces images à 9 ans ou même 12 ans ?
Ce film pourrait être un outil pédagogique à utiliser en séance d’Éducation à la sexualité avec des adolescents, pour analyser la représentation de l'amour et du couple dans les médias. Ou pour aider des jeunes à s'exprimer sur leur propre représentation du couple : "Pour moi, la vie de couple, ça ressemble plutôt à : telle scène" ou bien "Moi, ce qui me fait peur dans la vie de couple, c'est : telle scène".
Mais montrer ce film à un jeune public, cela ne me semble pas approprié. Ils se retrouvent voyeurs, sans outils pour comprendre, ou oreille pour écouter les émotions que ces images - émouvantes - suscitent en eux. Dommage !
Fais gaffe
Je bifurque légèrement et je tombe sur l'espace intitulé "Fais gaffe." Prévenir les enfants des dangers liés à la sexualité, c'est difficile. Souvent, les adultes se demandent : comment mettre en garde les enfants, sans les terroriser. L'expo a le mérite d'intégrer 4 mini-films, tout simples, et très courts :
- C'est quoi l'inceste ?
- C'est quoi un pédophile ?
- C'est quoi les dangers d'internet ?
- Est-ce que c'est grave de regarder des films porno ?
Mon avis : j'ai beaucoup apprécié qu'il y ait un petit espace de prévention dans cette exposition. Je suis heureuse que chacun des films relaie le message essentiel : demande de l'aide, ce n'est pas de ta faute. Ceci dit, ces films un peu simplificateurs semblent viser de (très) jeunes enfants.
La cible des 9-14 ans a besoin de films plus étoffés, plus concrets, et plus clairs (pas d'ambivalence dans le discours sur la pornographie, par exemple). Les enfants sont avides de comprendre pourquoi des adultes peuvent avoir ce type de comportements. Et puis, j'aurais bien ajouté un film sur la prostitution, car énormément de CM2-6e me posent la question : "Pourquoi il y a des prostituées ? Est-ce que c'est permis ?" Bref, cet espace de prévention, embryonnaire dans l'exposition, aurait pu être déployé...
Pourquoi tant insister sur les baisers ?
Jeux où on obtient des bruitages de baisers, machine où l'on introduit son doigt pour mimer un baiser avec la langue, liste de ce qu'il faut faire pour bien embrasser... pourquoi cette expo focalise-t-elle son attention sur les baisers ?
Mon avis : est-ce bien nécessaire d'apprendre dans un musée à embrasser ? Je me dis qu'on l'apprend plutôt dans l'intimité d'une relation amoureuse... La "Galerie des Baisers" m'a donc mise mal à l'aise. Et puis, je sors tout juste de 24 séances avec des 6èmes, et je n'ai pas eu une seule fois la question : "Comment on met la langue pour s'embrasser ?" Je ne suis pas sûre que la question "technique du baiser" soit au centre des préoccupations des jeunes adolescents.
La machine à déclaration
Vous écrivez le nom de la personne chérie, le vôtre, vous choisissez le type de poème que vous voulez, et la machine vous imprime un poème légèrement personnalisé.
Mon avis : un outil amusant, original, mais décalé par rapport à sa cible. De mon expérience, "comment lui dire que je l'aime", "comment lui avouer mes sentiments", c'est souvent la question que les jeunes posent en 4ème et après. Elle est décalée pour des CM2.
Pour travailler sur l'amour, il y a un autre outil qui aurait pu être intégré à l'expo, et qui plaît aux 9 ans comme aux 14 ans : les 5 langages de l'amour, de Gary Chapman. On aurait pu inventer une machine-test pour aider l'enfant à comprendre : comment j'aime être aimé ? quelles formes d'amour me touchent ? Enfin, c'est une idée...
Le Pubertomatic
Le Pubertomatic, je l'attendais. Car s'il y a une question centrale en éducation à la sexualité entre le CM2 et la 5ème, c'est bien la puberté. Je découvre donc un Pubertomatic pour filles et un pour garçons : j'introduis ma tête dans une niche, et j'assiste aux transformations physiques de la puberté.
Mon avis : j'ai été déçue !
1. L'outil me réjouissait dans sa forme, il a un potentiel magnifique, mais les films explicatifs à deux voix, qui se veulent rigolos, deviennent vite ironiques. Le ton est celui du persiflage... Est-ce si ridicule, de changer dans son corps ? Rire ou se moquer, that is the question !
2. Le Pubertomatic n'aborde pas du tout les changements psychologiques liés à la puberté, que pourtant beaucoup de 6èmes me renvoient : "Et si je n'aime plus mon corps ?" "Et si je n'ai pas envie de grandir ?" "Est-ce que la crise d'ado c'est forcé ?"
3. Les explications sont si brèves qu'on sort du Pubertomatic des garçons sans avoir bien compris les éjaculations, et du Pubertomatic des filles sans avoir compris les règles. Là, quand même, c'est un manque sérieux !
Un espace pour chanter l'amour
La salle de bain-karaoké est un espace ludique d'expression : une belle sono, un éclairage brillant... vous cliquez sur un bouton, et vous voici en train de chanter l'amour !
Mon avis : l'idée est amusante, conviviale, et la mise en scène réussie. Le choix des chansons, en revanche, est restreint car seulement 3 titres sont proposés : "I will survive" - "J'ai encore rêvé d'elle" - "On va s'aimer". Une question, toujours la même : ces chansons sont-elle adaptées à des 9-10 ans ? Comprennent-ils le texte ? Pourquoi ne pas aider les enfants à comprendre POURQUOI les artistes chantent, peignent, filment, sculptent, dansent autant l'amour ? Un outil intéressant, mais encore sans décodage....
Le fameux "Espace interdit aux parents"
Cet "Espace interdit aux parents" a fait couler de l'encre. Évidemment, je suis allée y jeter un coup d’œil.
1. Honnêtement, je n'ai pas bien compris l'intérêt de proposer un Espace interdit aux parents. Déjà sur la forme, moi qui viens à cette expo (et qui paie !), je n'aime pas m'entendre dire : "Ah non, là, ce n'est pas pour toi !" Par ailleurs sur le fond, je constate que l’Éducation à la sexualité est souvent -encore- un tabou, que bien des parents n'arrivent pas à aborder le sujet avec leurs enfants... alors personnellement, je préfère qu'on encourage les échanges parents-enfants.
Mon avis : dans une optique exactement inverse, j'aurais rêvé dans l'expo d'un "Espace de discussion privilégié parents-enfants" : petit boudoir où l'enfant pourrait prendre le temps d'échanger avec son parent, sur l'expo, sur des livres, sur son histoire de vie... et pourquoi pas en sirotant un coca ?
2. Dans cet espace réservé, vous trouvez des planches anatomiques très grandes (le sexe féminin est vu de face, gros plan sur la vulve). Il y a une vitrine un peu girly avec les serviettes hygiéniques et le déo... Vous pouvez aussi écouter un Love Phone, concept que j'ai bien aimé, avec des questions-réponses sur la sexualité (je n'ai pas pu tout écouter). Il y a un grand bonhomme avec un pénis qui se gonfle et se met en érection quand vous appuyez sur une pédale ! Et une sorte de vitrine un peu ratée représentant des testicules géants où se mélangent les spermatozoïdes...
Mon avis : cet espace a sa place DANS l'expo, il ne me semble qu'il n'y a rien là qui doive être caché (ou souhaite-t-on cultiver le sentiment de honte ?). L'anatomie est montrée (voire exhibée, vu la taille) mais peu expliquée. Si bien que les enfants ne seraient pas tout à fait au clair sur des choses basiques, qu'ils me demandent répétitivement en séance : c'est quoi être circoncis ? D'où viennent les règles ? A quel âge vient le sperme ? Comment sort-il la 1ère fois ? Et comment on met les tampons ? Il manque à mon sens un film explicatif rassemblant les infos qui sont éparpillées...
La librairie : de vrais outils pédagogiques
Les gadgets à base de cœurs proposés par la librairie m'ont semblé très kitsch , mais après ce raz-de-marée rose j'ai apprécié les supports d’Éducation à la sexualité qui étaient sélectionnés.
Je crois que chacun peut y trouver son compte : de nombreux albums ou encyclopédies, d'auteurs et de collections différentes. Vous n'avez pas que du Titeuf! Des ouvrages à destination des tout-petits, des enfants ou des adolescents, et même une sélection de livres pour aider les adultes à mûrir sur ces sujets.
Je n'avais plus le temps de flâner, mais je serais bien restée... c'est tellement rare d'avoir des espaces documentaires spécialisés en l’Éducation à la sexualité ! C'est une des réussites de l'Expo.
Et encore :
- un film de 15 minutes en langue des signes (qui reprend tous les panneaux de l'exposition). Animation clownesque un peu fatigante à mon goût... mais à tester avec le public concerné !
- le superbe film de Nils Tavernier "L'Odyssée de la Vie" est en projection continue. Très belle idée !
- un quizz en sortant teste vos connaissances sur la puberté. L'idée est riche ! Je n'ai pas eu le temps d'en voir le contenu...
Mes idées en sortant
- l'exposition a du courage pour oser proposer un tel espace d'éducation à la sexualité.
- beaucoup de professionnalisme et de créativité : les différents ateliers sont colorés, bien calibrés, attrayants.
- un ton souvent réussi, même si on tombe parfois dans la vulgarité (certaines planches Titeuf, le plateau de préservatifs, quelques blagues sexistes) ! Pour être honnête, j'avais peur que ce soit plus cynique...
Mes réserves :
- une confusion sur la tranche d'âge ciblée : il me semble difficile en Éducation à la sexualité de réunir des CM1 avec des 4èmes. Leurs centres d'intérêt sur les sujets de l'anatomie, de l'amour, de la sexualité, divergent (sans jeu de mot). Or l'exposition essaie de brasser large, si bien qu'on a des ateliers que les CM1-CM2 jugeront dérangeants, voire dégoûtants, et d'autres que les 4èmes jugeront très "Titeuf-classe-primaire".
- une confusion sur les relations amoureuses. Est-ce la même chose de donner la main à sa copine de maternelle, de s'embrasser en CM2, de sortir ensemble quand on est au collège, de s'installer ensemble, de choisir d'élever ensemble un enfant ? Les amours d'âge primaire (Titeuf) ne sont pas du tout distinguées de celles des adultes. Cette confusion est un terrain peu propice à la prévention des abus sexuels.
- les enfants/adolescents que je rencontre ne veulent pas seulement savoir comment on fait les bébés. Ils ont beaucoup de questions sur les fausses couches, la prématurité, l'infertilité, la PMA, les jumeaux, la génétique. Cette partie-là est très peu développée dans l'expo : or elle correspond à une attente que je vérifie tous les ans. Peut-être qu'à la place de la Galerie des Baisers...
- l'expo est un peu centrée sur les préoccupations des garçons. Mais bon, Titeuf est un garçon ! Et pour une fois que les garçons sont la cible de l’Éducation à la sexualité, eux qui en sont souvent écartés, dois-je me plaindre ?
- si, je me plains d'une chose : les relations garçons-filles ne sont pas abordées. Elles font pourtant très souvent partie des questions des enfants ou des adolescents. Et je crois qu'insister plus franchement sur le consentement, sur l'égalité des personnes dans le couple... c'est toujours bon à entendre !
- globalement, la dimension psychologique est souvent absente des différents ateliers. C'est à mon sens sous-estimer les enfants, qui à travers l’Éducation à la sexualité, posent souvent des QUESTIONS EXISTENTIELLES... L'expo a choisi de privilégier la dimension technique, et le rire comme tonalité. Or la vie des enfants, dans le domaine du couple, de la famille, du corps, est parfois très douloureuse. Choisir le parti d'en rire, c'est peut-être réducteur, voire violent, pour les enfants pour qui l'amour, ou leur corps, est problématique !
- il manque, à mon sens, un espace sur l'intimité. Qu'est-ce que je montre ? Qu'est-ce que je cache ? Pourquoi ? Est-ce par honte ? L'intimité est un des enjeux aujourd'hui de l’Éducation à la sexualité...
Mes recommandations :
- il est pour moi important, avant de venir à l'exposition, d'avoir abordé ces sujets avec les jeunes qui viendront... L'exposition ne peut être qu'une illustration d'un véritable travail d’Éducation à la sexualité.
- je recommande également de prendre 1.30h pour reparler de ce qu'on a vu, lors d'une séance ensemble après l'exposition : "Comment as-tu trouvé cette expo ?" "Qu'est-ce qui t'a plu ?" "Qu'est-ce que tu as appris ?" "Y a-t-il des choses qui t'ont semblé bizarres, nouvelles ?" "Tu as encore des questions ?"
L'avis de Claude Halmos sur France Info
"L'information sexuelle des enfants, ce n'est pas une question d'idéologie, d'opinion : c'est une question qui concerne leur construction. L'information sexuelle des enfants, c'est essentiel et fondamental. C'est comme une boussole. (...) Les errances, elles viennent de la non-information, jamais de l'information. (...)
Il y a, si on en croit les études qui ont été faites, 70% des enfants de moins de 11 ans qui ont vu un film pornographique. C'est un chiffre hallucinant."
Bonjour. A vous lire, j'ai vraiment cru que vous étiez infirmière scolaire... Je le suis moi même et votre commentaire détaillé (je vous en remercie) me conforte dans mes à priori que cette exposition n'est pas destinée aux enfants de primaire. Néanmoins je pense aller la voir afin de me faire ma propre idée et de donner un avis éclairé. Bien à vous.
Bonjour, POuvez-vous me donner des indications sur la puberté du garçon ? mon fils de 15 ans a un sexe pas plus grand que son petit frère de 9 ans bien qu'ayant pas mal de poils au niveau du pubis. Dois je lui faire passer les examens ? si oui, lesquels. Merci d'avance car je m'inquiète
Bonjour, si vous êtes inquiète, le mieux est de consulter votre médecin généraliste avec votre fils de 15 ans. Le médecin pourra vous dire si le développement pubertaire de votre fils est "classique" ou s'il convient de faire des examens. N'ayez pas peur, allez-y. Et en cas de doute, votre médecin généraliste pourrait vous adresser à un urologue. Ce ne sont pas des démarches très agréables, mais cela vaut mieux que l'inquiétude constante...
Bon courage,